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Du conventionnel au bio, la transition d’un agriculteur (épisode 2) : une histoire de gros sous
A Aulnoy, en Seine-et-Marne, Eric Gobard est un céréalier heureux… et de moins en moins traditionnel. Rencontre avec un paysan en mouvement.
Eric Gobard n’est pas de ces agriculteurs ultra geeks qui consultent frénétiquement le cours des matières premières sur leur smartphone dernier cri. Pourtant, il a une idée très précise de la santé économique de son exploitation, à Aulnoy (Seine-et-Marne). Chez lui, tous les papiers sont rangés dans de gros classeurs colorés : les factures, les courriers administratifs, les lettres relatant les aides perçues…
En mars, les agriculteurs bios ont manifesté contre la baisse annoncée des aides au maintien versées par l’Union européenne (UE) et réparties à l’échelon national. Amputées d’un quart faute de budget, d’après un arrêté publié le 7 mars. Pour Eric, c’était l’époque des semis d’orge et de féveroles. Anne, sa femme et collaboratrice, a tout de même pris le temps d’aller au rassemblement, à Paris. La veille du rendez-vous, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a fait marche arrière et débloqué une aide complémentaire pour permettre aux producteurs bios de toucher 100% des aides prévues. Une victoire au goût amer, pour Eric Gobard. « Je suis certain que l’année prochaine les aides au maintien disparaîtront. On dit tout le temps qu’il faut promouvoir la filière biologique, mais on ne nous aide pas. L’opinion publique croit qu’on touche beaucoup d’argent, c’est faux ! »
Les aides qu’il perçoit, Eric Gobard les compare à un millefeuille. D’abord, le socle commun de la politique agricole commune (PAC) : 329 euros par hectare pour l’ensemble de son exploitation, versés chaque année en novembre à tous les agriculteurs, qu’ils soient bios ou non. Pour ses parcelles en conversion, il a le droit à 200 euros supplémentaires par hectare. Les parcelles déjà converties, elles, ne lui ouvrent droit qu’à 100 euros de bonus.
Un tracteur et une moissonneuse
« Ce n’est pas négligeable », admet l’agriculteur en montrant la moissonneuse-batteuse à 166 000 euros et le tracteur à 134 000 euros qu’il a pu acheter avec ces aides ces dernières années. « L’Europe nous permet de nous moderniser. Comme beaucoup, notre exploitation a toujours été influencée par les choix européens. Mon grand-père a arrêté le lait et la production de coulommiers, parce qu’en 1961 l’Europe faisait la promotion des grandes cultures. On voulait des agriculteurs qui nourrissent, alors on a retourné les prairies, abattu les haies et aspergé de pesticides. Puis, en 1992, nous sommes devenus les jardiniers du paysage. Il ne s’agissait plus de produire à tout va, d’où l’instauration du socle commun, qui n’est pas lié au rendement. Aujourd’hui, on parle beaucoup du bio, mais étrangement, on ne le soutient pas suffisamment. »
Certaines régions donnent un coup de pouce à leurs producteurs. En Île-de-France, Eric Gobard touche ainsi 60 euros supplémentaires pour chacun de ses hectares bios ou en conversion. La région lui rembourse aussi la moitié de sa certification, soit 720 euros par an. Les agriculteurs ont par ailleurs accès à des aides ponctuelles. En 2011, quand le couple veut investir dans le moulin en bois qui lui permet aujourd’hui de produire 10 tonnes de farine d’épeautre, de blé, de seigle et de sarrasin par an, il bénéficie d’un fonds européen de 3 600 euros, soit 30% de l’ investissement. Il n’empêche que cela ne suffit pas : « Quand des conventionnels viennent me voir, ils sont surpris de voir que l’on touche si peu d’aides. Certains diront que l’on ne mérite pas plus de soutien que les Labels rouges, par exemple. Mais nous, on protège les sols, on participe à un système vertueux : on devrait être encouragés. »
Une question de prix
La Ferme de Chantemerle a l’originalité de jouer sur trois tableaux : 57 hectares de bio, 73 en conversion et 70 en conventionnel. Quand ses trois casquettes de cultivateur lui laissent un peu de temps, Eric Gobard est aussi maire de sa petite commune de 366 habitants. Il a banni les pesticides des espaces verts, revendique fièrement son statut de sans étiquette et se définit comme « un bénévole de la France d’en bas ». Sans faire de politique politicienne, donc, il a tout de même une petite idée du montant qui inciterait les agriculteurs à convertir leurs terres. « Il faudrait franchir le seuil des 600 euros de subventions à l’hectare, socle commun et aide au maintien compris. Un bio qui perdrait 50% de sa récolte aurait ainsi l’assurance de s’en sortir financièrement. Mais ce n’est pas la direction qu’a choisie l’Europe pour le moment. »
Mais alors, le bio peut-il être rentable ? Voici les cahiers de comptes d’Eric pour ses productions de blé conventionnelles et biologiques en 2012 et en 2014.
Le bio coûte moins cher en pesticides, mais il pèse lourd en main-d’œuvre. Aujourd’hui, Eric et sa femme emploient un ouvrier et jusqu’à sept saisonniers pour récolter les haricots. Quand ils étaient 100% conventionnels, ils ne faisaient jamais appel à des extras. Pourtant, l’agriculteur est convaincu qu’à long terme le bio est un atout pour la planète, mais aussi pour son portefeuille. Entre son stock de vinasse clarifiée utilisée pour fertiliser ses parcelles bios et son silo d’épeautre prêt à être décortiqué, l’agriculteur est formel : « Si on voulait, on pourrait vendre deux fois plus. Il y a une vraie demande. »
L’agriculteur n’a aucun mal à écouler les sachets de farine qu’il prépare, avec sa femme, dans une aile de la ferme. Les débouchés croissants pour les produits bios sur les marchés locaux lui assurent même une certaine stabilité des prix, quand les cours mondiaux des matières premières conventionnelles sont ultra volatils. S’il faut parler d’avenir, il a donc une certitude : « Si l’Europe devient libérale et ne nous appuie plus, ce sera aux consommateurs de trancher. »http://www.terraeco.net/Du-conventionnel-au-bio-la,59696.html
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Tags : aide, bio, eric, agriculteur, bios
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