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Les nouveaux tests d’évaluation des pesticides ne sont pas appliqués
La mise sur le marché des néonicotinoïdes, fatals aux populations de pollinisateurs, a été possible à cause de tests inadaptés. Si les autorités sanitaires européennes ont mis en place une nouvelle méthodologie, les États-membres ne la font pas respecter.
De mémoire d’apiculteur, on n’a jamais vu cela. En 2016, les ruches françaises n’ont produit que 9.000 petites tonnes de miel, encore moins qu’en 2014, pourtant considérée comme « pire année de l’apiculture française », par l’Unaf (Union nationale de l’apiculture française). Alors que nous sommes au cœur de l’hiver, les ruches dorment. Mais la question au printemps sera comme chaque année la même : combien de pertes ? Elles s’établissent désormais autour de 30 % en moyenne tous les ans. Quant à la production de miel en France, elle a été divisée par trois en 20 ans.
Pourquoi ce déclin ? C’est la question sur laquelle planche la science. Au rang des coupables : les maladies, les parasites, et… les pesticides. Parmi ceux-là, Reporterre vous a déjà raconté pourquoi les néonicotinoïdes, les pesticides les plus utilisés dans le monde, sont considérés comme particulièrement dangereux. L’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire) demandait en janvier 2016 un renforcement de leurs conditions d’utilisation. Un groupe de scientifiques internationaux, la Task Force on Systemic Pesticides (ou « force d’intervention sur les pesticides systémiques »), a conclu qu’une exposition « faible ou aiguë » rendait les pollinisateurs « très vulnérables ».
Mais comment a-t-on pu autoriser des produits aussi dangereux que ces pesticides ? « Force est de constater que si les tests d’évaluation étaient parfaits, on n’aurait pas tous ces problèmes », regrette Jean-Marc Bonmatin, chercheur en biophysique moléculaire au CNRS, qui participe à la Task Force.
« Les compagnies phytosanitaires sont énormément intervenues dans la définition des tests à faire »
Pour comprendre, il faut monter au niveau européen. Car c’est là que se déroulent l’évaluation et l’homologation des « substances actives » des pesticides, c’est-à-dire les molécules agissant contre les nuisibles que veulent éliminer les pesticides : mauvaises herbes, insectes, champignons, parasites.
A priori, pas de quoi s’inquiéter, une directive de l’Union européenne précise qu’une substance active ne peut être autorisée que si elle « entraînera une exposition négligeable des abeilles » ou « n’aura pas d’effets inacceptables » sur les colonies. Pour vérifier cela, l’entreprise qui souhaite mettre un pesticide sur le marché doit effectuer une série de tests et fournir les résultats aux experts de l’Efsa (l’Autorité européenne de sécurité des aliments). Ceux-ci évaluent alors des risques, et font un rapport. C’est ensuite à la Commission européenne et aux États membres de décider si cette substance pourra être autorisée, et dans quelles conditions.
« Le problème est que le test aujourd’hui obligatoire ne prend en compte que la toxicité aiguë, donc à une seule forte dose par voie orale et par contact, explique Noa Simons, vétérinaire, écotoxicologue, et conseillère scientifique pour Beelife, la coordination européenne des syndicats d’apiculteurs. Mais ce n’est pas une méthodologie valable pour évaluer les pesticides systémiques, car les abeilles y sont exposées par de multiples voies, plusieurs fois, à petites doses », poursuit-elle.
- Le siège de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, à Parme, en Italie.
Pourquoi les tests sont-ils inadaptés ? On pourrait penser que, tout simplement, on ne savait pas que les pesticides systémiques pouvaient menacer les pollinisateurs. « Sauf que, depuis qu’on les utilise, des centaines d’articles ont montré que les pesticides systémiques exposent les abeilles à long terme et ont des effets sur l’immunité, la reproduction, ou le vol de retour à la ruche. Des fonctions vitales sont atteintes », dit Jean-Marc Bonmatin. Il faudrait donc que les tests prennent en compte ces données nouvelles. « Mais les compagnies phytosanitaires sont énormément intervenues dans la définition des tests à faire, reprend le professeur. Et elles ne veulent faire que le minimum du minimum. »
Face à cette situation, Beelife a dénoncé le poids de l’industrie des pesticides dans les décisions européennes concernant les abeilles. Dans un rapport de 2010, elle montrait que 6 des 17 experts mandatés par l’Union européenne sur ces questions étaient directement issus du secteur industriel.
Un avis dont, une fois n’est pas coutume, l’Europe a tenu compte. « Les données scientifiques concernant la mortalité des abeilles ont suggéré que les méthodes d’évaluation étaient incomplètes, en particulier pour les pesticides systémiques », déclare aujourd’hui poliment l’Efsa à Reporterre.
La voie la plus efficace aujourd’hui semble encore celle du politique
Les experts de l’agence se sont donc mis au travail, et à la grande satisfaction des défenseurs des abeilles, ont proposé de nouveaux tests en 2013. L’exposition chronique est prise en compte, de même que les pollinisateurs sauvages ou les larves. L’agence européenne a commencé à appliquer les nouveaux critères il y a un an.
Du coup, le syndicat des industriels des pesticides ne décolère pas. « Ces demandes sont irréalistes, la Commission européenne a cédé aux pressions politiques des ONG, assure Euros Jones, directeur des affaires réglementaires à l’European Crop Protection Association (ECPA, l’Association européenne pour la protection des plantes). Pour faire tous ces tests, on a calculé qu’il nous faudrait une surface supérieure à celle de Malte ! Cette année, même un extrait d’origan pour le bio a été refusé sous prétexte qu’on n’était pas sûr qu’il ne présentait pas de danger pour les abeilles. On ne pourra plus jamais rien faire enregistrer ! » « Il y a des dangers identifiés, c’est vrai, poursuit-il. Mais on peut les contrôler. C’est comme la voiture, on met la ceinture pour minimiser les risques, on ne la laisse pas au garage. »
Beelife rappelle de son côté qu’évaluation et homologation sont bien séparées. Les décideurs politiques peuvent parfaitement autoriser un pesticide, même si le rapport de l’Efsa le considère dangereux pour les abeilles. « C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour les néonicotinoïdes », rappelle Noa Simons. Par ailleurs, Beelife précise que des tests complets sont surtout une occasion de bien étudier un pesticide, et donc de mieux préciser dans quelles conditions il peut être utilisé, avec quelles précautions.
Surtout, cette nouvelle méthodologie est encore loin d’être officiellement adoptée par l’Union européenne. « La nouvelle méthodologie est tellement complète que les États-membres ont eu peur ! » En trois ans, aucune décision n’a été prise. Les nouveaux tests sont bien réalisés, mais ils ne sont pas contraignants pour les compagnies phytosanitaires.
La voie la plus efficace aujourd’hui semble encore celle du politique, qui peut interdire les pesticides dangereux a posteriori. Si le moratoire sur les néonicotinoïdes reste partiel, « des gouvernements, comme en France, disent qu’il faut que ça bouge, note Jean-Marc Bonmatin. Mais, force est de constater qu’aujourd’hui il y a une espèce de retournement : pour retirer un produit qui a un impact inacceptable pour l’environnement, la charge de la preuve — une preuve solide, de plusieurs centaines d’études —, revient à la société. Le principe de précaution n’est pas du tout appliqué », regrette-t-il.
Et cela, dans le cas des abeilles comme du reste. Car il a été démontré que les pesticides sont aussi dangereux pour les humains que pour d’autres animaux. Va-t-on repenser les tests sur ces sujets-là ? Noa Simons soupire : « Non, la seule méthodologie que l’on a essayé de changer pour l’instant est celle concernant les abeilles. »
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« Merci Nadia pour ce partage La fin des barquettes en plastique dans les cantines est décidée à Strasbourg »
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