• Electrique ou aux agrocarburants : quelle voiture pollue le moins ?

    Electrique ou aux agrocarburants : quelle voiture pollue le moins ?Il n’y aura bientôt plus de pétrole. Ça, on commence à le comprendre. Mais de là à se passer de la voiture, vous n’y pensez pas ! Alors en attendant la caisse qui marche à l’air pur, on met quoi dans le réservoir ? De la betterave ou des électrons ?

    La voiture électrique avance dans la lumière, un peignoir sur le dos. L’automobile aux agrocarburants, elle, est déjà dans son coin. Elles vont s’affronter sur le ring environnemental. « Un match impossible ! », soufflent certains. Certes, aucune étude ne compare encore les bienfaits écologiques de la betterave face à la fée électricité, mais cette question sera bientôt incontournable. A l’heure de la fin annoncée du pétrole, on aimerait savoir sur qui il faudra parier pour déplacer nos tacots : le courant ou le végétal ? Les deux « green pretenders » sont maintenant face à face. Ils se toisent. Le combat va commencer. Il a lieu en France, histoire de boxer selon les règles énergétiques hexagonales : 77 % de nucléaire, 11 % d’hydroélectrique, 10 % de thermique et 2 % pour les autres énergies renouvelables (1). Promoteur avisé, Terra ecoallume son cigare et s’enfonce dans son siège.

    Premier round : on s’observe

    Premières secondes et, déjà, on tente de s’intimider. A notre gauche, la voiture électrique. Plutôt petite mais boxant tout de même dans la catégorie des poids moyens en raison de ses encombrantes batteries. Chargée à bloc, elle peut atteindre une vitesse de 140 km/h pour la petite I-Miev de Mitsubishi (en octobre prochain dans les concessions françaises), voire 200 km/h pour la Tesla Roadster californienne. L’autonomie ? Pas folichonne : de 140 km à 350 km pour ces deux modèles. Et pour recharger, bonjour la galère, car les bornes sont quasi inexistantes. Elles doivent rester branchées sur du 220 V entre cinq et sept heures. La solution viendra peut-être du changement de batteries en station, aussi rapide qu’un plein de super. A notre droite, une automobile aux agrocarburants – aussi surnommée « auto-agro » – comme la Volvo S40 Flexifuel ou la Renault Megane bioéthanol. Identique à son aînée 100 % pétrole, elle est aussi rapide et autonome, mais un chouïa plus verte : 114 g de CO2 au km pour une voiture à l’éthanol contre 164 g, en moyenne, pour une auto au super (2).

    Deuxième round : qui est la plus propre en CO2 ?

    La voiture électrique place d’entrée une droite à son adversaire. Avec son déplacement zéro émission, elle s’affiche plus souple sur le ring : 21 g de CO2/km (3). Contre 114 g pour une berline à l’éthanol. Ou 73 g avec du diesel de colza. Seul le diesel de tournesol, avec ses 34 g, peut faire figure de challenger. Il prendrait même l’avantage si la rencontre se déroulait au Japon. Là-bas, le nucléaire ne représente que 30 % du « mix énergétique » du pays. Mais en France, le nucléaire frise les 80 %. Cette énergie n’émet que peu de CO2, voire pas du tout si l’on fait semblant d’oublier qu’il a fallu extraire l’uranium, le transporter, puis le retraiter. Ses 21 g, l’auto à électrons les doit essentiellement aux centrales électriques utilisant les énergies fossiles (gaz, charbon, fioul) et au carbone émis lors de sa fabrication. Dans le public, on fait la moue. « La voiture électrique n’est pas propre pour autant. Elle reporte la pollution sur la centrale thermique ou nucléaire », observe Michel Dubromel, responsable du réseau Transports de la fédération France Nature Environnement (FNE).

    En outre, si la France roulait au tout électrique, il faudrait ajouter, selon Jean-Marc Jancovici, expert énergéticien auprès de la Fondation Nicolas Hulot, 18 réacteurs nucléaires EPR de 1,6 gigawatt (GW) pour un coût d’environ 57 milliards d’euros. Ou installer 200 GW de panneaux photovoltaïques pour environ 1 000 milliards d’euros. Soit plus de la moitié du PIB hexagonal (1 800 milliards d’euros par an). Ouch ! Dur à encaisser !

    Troisième round : mais qui a le plus faible impact sur l’environnement ?

    Les arbitres s’approchent des cordes, car cette fois, ça se complique. L’impact sur l’environnement englobe de nombreux indicateurs, depuis les gaz à effet de serre (GES) jusqu’aux pollutions locales. Nos deux compétiteurs ont été fabriqués avec du minerai de fer, de cuivre, de nickel ou de manganèse, qu’il a fallu extraire du sol avec des machines turbinant aux combustibles fossiles, entraînant d’importantes pollutions dans les pays où se situent ces carrières. Leurs composants électroniques ont également été conçus avec des procédés polluants. Leur plastique est issu de pétrole, extrait de plus en plus difficilement du sous-sol. Et puis, il y a la batterie. Au plomb, le plus souvent pour la voiture aux agrocarburants, au lithium pour son adversaire. « Sa fabrication suppose de manipuler des substances chimiques ou des oxydes métalliques qui ne sont pas spécialement désirables pour garder un organisme en bonne santé », euphémise Jean-Marc Jancovici. Il faut ensuite utiliser pas mal d’énergie – pétrole et électricité – pour transporter et assembler tous ces morceaux et déconstruire la voiture en fin de route. De l’usine à la casse, les deux voitures sont lestées d’un petit paquet immuable de 40 g de CO2 par km parcouru.

    Quatrième round : aux chiottes les arbitres !

    L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a publié, en avril, le rapport d’analyse de cycle de vie des agrocarburants. Après une première version bâclée en octobre 2009 et de vives tensions entre les parties, le document – réalisé par l’agence Bio Intelligence Service – met en avant une diminution de 24 % à 91 % des émissions de gaz à effet de serre des agrocarburants par rapport aux carburants classiques. Cette variation de pourcentages s’explique par les différentes sources possibles d’agrocarburant. En tête de classement, les graisses animales, les huiles alimentaires usagées et l’éthanol de canne à sucre avec respectivement 91 %, 90 % et 72 % de gain. De quoi donner du cœur à l’ouvrage à l’auto-agro ? Pas si sûr. Car en France, on utilise surtout l’éthanol incorporé sous forme d’ETBE (éthyl-tertio-buthyle-ether), issu de maïs, de betterave et de blé. Or, celui-ci présente une allonge plutôt faiblarde en termes d’économies d’émissions de carbone face au sans plomb 95 : 22 % pour le maïs, 20 % pour la betterave et à peine 18 % pour le blé. Insuffisant pour respecter les objectifs de 50 % en 2017 et 60 % en 2018 fixés par la directive européenne sur les énergies renouvelables.

    Mais le plus perturbant dans ce rapport, c’est qu’il ne prend pas en compte l’impact de la conversion des sols : transformer une prairie en champ de blé libère le carbone jusqu’alors emprisonné dans la végétation. L’Ademe, pour éviter de se faire siffler par les ONG qui avaient déjà relevé cet « oubli » en octobre 2009, a justifié sa démarche. Devant « l’absence de modélisation faisant référence » sur le changement d’affectation des sols, « l’étude n’intègre pas ces changements », écrit-elle, en gras et en souligné. Elle précise même que « lorsque le développement de cultures énergétiques aboutit, directement ou indirectement, à la disparition de prairies, de zones humides ou de forêts primaires, le bilan de gaz à effet de serre des agrocarburants peut s’avérer négatif. » Selon Jean-François Gruson, économiste à l’Institut français du pétrole, « les enjeux économiques et politiques sont tels que chaque Etat essaie d’évaluer ses filières nationales avec une méthode si possible inattaquable. Mais il y a encore eu des discussions au sein du comité technique qui ont rendu cette précision nécessaire »« La non-prise en compte du changement d’affectation des sols est l’un des défauts de ce rapport, qui comprend également des approximations techniques, estime Michel Dubromel, de FNE. Cependant, l’Ademe n’a pas fait l’impasse là-dessus. On a même été surpris que Jean-Louis Bal, son directeur des énergies renouvelables, reconnaisse qu’il ne fallait pas compter sur les agrocarburants pour réduire les émissions de CO2 dans les transports. » Une phrase qui risque de faire changer la donne sur le ring. Panique chez les parieurs.

    Malheureusement, au niveau européen, on ne pratique pas la même transparence. La Commission européenne a refusé à trois reprises, en avril, de divulguer des études relatives aux effets climatiques des agrocarburants. L’agence de presse Reuters a dû faire jouer la réglementation sur le droit à l’information pour obtenir copie d’un rapport indiquant que le diesel au soja américain produisait quatre fois plus d’émissions de GES que le diesel standard ! De l’autre côté du ring, on tente aussi d’influencer l’arbitre. « Grâce » à un intense lobbying de l’industrie automobile, les engins électriques bénéficient d’un statut « zéro émission » dans la législation européenne : seules comptent les émissions de l’échappement. Oubliées celles des centrales ! Avec ce stratagème, chaque modèle « nucléaire » sera comptabilisé parmi les objectifs moyens des constructeurs (130 g de CO2/km pour 2015 et 95 g de CO2/km pour 2020), ce qui diminuera les efforts nécessaires pour rendre plus propres les modèles conventionnels. « Si on lance un programme industriel de véhicules électriques sans modifier cette législation, les fabricants pourront vendre davantage de 4x4 en compensant par des véhicules électriques, faisant ainsi grimper les émissions de carbone », s’insurge Michel Dubromel, de FNE. La réglementation prévoit, en outre, un système de « super-crédit » jusqu’en 2016 : chaque véhicule émettant moins de 50 g de CO2/km (en pratique, seulement les modèles électriques) compte jusqu’à 3,5 fois dans le calcul des émissions moyennes d’un constructeur. Bonjour le trucage ! Dans les tribunes, certains se frottent les mains. Dans un rapport publié en 2009, la Fédération européenne pour le transport et l’environnement a dénoncé ces failles (3) et mis en garde contre le risque de gâcher le potentiel de réduction des GES des véhicules électriques.

    Cinquième round : l’auto-agro au tapis

    Dernières secondes. Avec son rendement de 60 % largement supérieur aux 20 % de l’auto-agro, la voiture électrique met knock-out son adversaire. Et ceci malgré les pertes de stockage de l’électricité produite (20 %) et les fuites lors de la distribution sur le réseau (8 %). Fin du combat.

    On refait le match !

    Le combat a laissé un goût amer chez certains spectateurs. Car bien que victorieuse, la voiture électrique aura besoin de temps pour s’imposer : dix à vingt ans pour prendre 5 % du marché des véhicules thermiques, selon l’Agence internationale de l’énergie. Les solutions ? Rouler moins ; privilégier l’autopartage ; et opter pour la voiture électrique dans les pays où l’énergie sera tirée de la biomasse ! —

    (1) Selon les données 2007 de l’Agence internationale de l’énergie.

    (2) Etude JRC/EUCAR/CONCAVE 2006.

    (3) Etude Ademe de juillet 2009.

     

    http://www.terraeco.net/Electrique-ou-aux-agrocarburants,10406.html

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